Article de Catherine Barry paru dans Gala
pourquoi changer nos habitudes et en créer de nouvelles pour vivre de manière plus sereine?
Pour répondre à cela, nous avons suivit le Dalaï Lama pendant une journée. La paix de l’esprit qu’il a développé au cours des années, la maîtrise de lui-même qu’il montre en toutes circonstances, son aptitude à se détendre, …, tout cela, il l’a acquit en suivant un rythme et une discipline qui constituent les bases d’une existence sereine. Une régularité dont nous pouvons nous inspirer afin de trouver notre propre rythme.
La pratique spirituelle de l’un des moines les plus célèbres de la planète, le Dalaï Lama, demande que, chaque matin, dès l’aube, soit respecté et aménagé au mieux des circonstances, où qu’il se trouve, un temps pour la méditation, la prière et l’étude des enseignements bouddhistes. Une discipline quotidienne qui, depuis mars 1959, date de son exil en Inde, l’aide à conduire avec une détermination et un courage sans faille ses obligations de chef d’état et de leader spirituel de son peuple. Une pratique journalière qui sous tend en permanence- depuis qu’il reçut, en 1989, le Prix Nobel de La Paix pour son combat non violent contre la Chine – son action inlassable en faveur de la paix dans le monde.
« Avant tout simple moine » comme il aime se définir lui-même, son entourage proche ne compte, qu’un nombre restreint, de personnes. Parmi elles, son intendant qui veille à la bonne marche du quotidien du Dalaï Lama, à Dharamsala ou à l’étranger.
A Dharamsala, où il vit à 2000 mètres d’altitude la plus grande partie de l’année, le quotidien du Dalaï Lama est celui d’un moine dont, chaque pensée, parole et action, sont orientées vers le bien des autres. Ses journées débutent dès 4 heures. Ses premières pensées, totalement consacrées aux autres, donnent le ton de la journée. Il en parle, simplement, lorsqu’on le lui demande. « Lorsque je me réveille à l’aube, mon regard se porte naturellement vers une représentation sacrée du XVIIème siècle qui représente le bouddha historique. L’une des rares statues emportée au moment de l’exil. Puis, je récite un mantra, une prière, au cours de laquelle je dédie tout ce que je ferais au cours des prochaines heures – sous forme d’offrande mentale- pour le bien des êtres. Enfin, je renouvelle le vœu du bodhisattva qui engage chaque disciple du Bouddha, à tout faire pour libérer les êtres de la souffrance et de ses causes et à les assister pour qu’ils trouvent le bonheur et ses causes. Ce souhait, conduit celui qui le prend, à renaître de vies en vies jusqu’à ce que chaque être sensible soit libéré du samsara, le cycle des existences… ».
Cela fait, il se lève, procède à sa toilette et s’habille rapidement avant de commencer une longue méditation qui durera, de longues heures. Ce n’est qu’ensuite qu’il se délasse. « Si le temps est beau, je vais au jardin. Ce moment est pour moi très particulier. Je regarde le ciel, s’il est clair, je vois les étoiles et j’éprouve une impression particulière, celle de mon insignifiance dans le cosmos. La réalisation de ce que nous, les bouddhistes, appelons l’« impermanence ». Cela détend beaucoup. » Dit-il en substance.
Viens enfin le moment du petit-déjeuner. Les deux moines qui l’accompagnent désormais, le venerable Thupten Ngawang : et le venerable Tenzin Soepa. le lui apportent. Il le prend souvent en écoutant la BBC. Il est environ 6H du matin.
Puis, le Dalaï Lama reprend ses pratiques méditatives. Il y consacre du temps, à plusieurs reprises, au cours d’une même journée. La méditation, pratique fondamentale pour tout bouddhiste, aide à développer une motivation juste, à faire naître en soi la compassion, l’amour, la tolérance, la non violence, le détachement ; à mieux comprendre ce qui nous arrive ; à générer pardon et tolérance ; à se libérer de l’ignorance qui nous fait oublier que rien n’a d’existence en soi, que tout est impermanent, que nous sommes tous reliés, interdépendants.
De 9H au moment du déjeuner, il étudie les textes bouddhiques et se plonge parfois également dans la lecture d’ouvrages occidentaux consacrés notamment à la physique nucléaire, l’astronomie et la neurobiologie. Il arrive souvent que des scientifiques viennent discuter de la relation existants entre la philosophie bouddhiste et la leur, et comparent par exemple l’avancée de leurs travaux sur le fonctionnement du cerveau avec l’expérience bouddhiste des différents niveaux de conscience.
Enfin, s’il lui reste un peu de temps avant de déjeuner, il le consacre au jardinage ou au bricolage.
12H30 : le déjeuner est servi. Les plats autrefois végétariens ont été remplacés – à la demande des médecins de Tenzin Gyatso, le 14ème Dalaï Lama- par des aliments plus variés : de la soupe avec des nouilles, des momos (boulettes de viande enrobées de pâte et bouillies) – et des sha-paleps (pains frits fourrés à la viande).
Le Dalaï Lama consacre l’après-midi à remplir ses fonctions de chef d’état. Et, cela jusqu’à 17H environ, heure à laquelle il se retire dans ses appartements. Il y prend alors en général un simple thé. Les moines bouddhistes ne dînent pas.
Le temps qui lui reste avant de se coucher est consacré pour l’essentiel à la méditation et à prier. Avant de s’endormir vers vingt heures trente ou vingt et une heure, ses dernières pensées vont vers son peuple. Pour eux, il prie la divinité tutélaire de son pays, le Tibet, Avalokitésvara, le Bouddha de la Compassion.
Le temps consacré à la pratique et aux autres, la discipline suivie, la régularité de son rythme de vie et du cadre dans lequel il exerce ses activités de tout ordre participent à donner jour après jour du sens à l’existence du Dalaï Lama et à exprimer cette incroyable unité de ce qu’il est et qu’il exprime au travers de sa pensée, de ce qu’il fait, de ce qu’il enseigne et transmet. Et, à produire cette incroyable présence et ce rayonnement particulier qui le caractérisent et qui donnent envie à un grand nombre de personnes de tout faire pour développer, à sa suite, une éthique spirituelle laïque et universelle basée sur les qualités humaines qu’il prône : l’amour, la compassion, la solidarité, la tolérance. Et, cela est d’autant plus vrai depuis septembre 2008 et l’arrivée de la crise économique mondiale qui remet en cause bien des valeurs et comportements.
pour compléter, je vous propose :
1/ EXTRAIT INTRODUCTION : Paroles du Dalai Lama aux femmes : éditions du Rocher :
Lors de sa visite en France en août 2008, le Dalaï Lama s’est adressé à plusieurs reprises, de manière ciblée et précise, aux femmes venues l’écouter, et indirectement aux hommes qui les accompagnaient. Il leur a délivré ce message, qu’il juge capital / « L’âge à venir sera celui de la femme ! Le monde a besoin pour survivre des valeurs qu’elle incarne. ». Ce type de déclaration peut surprendre, de la part d’un chef religieux essentiellement entouré d’hommes. Mais ce serait ignorer la dimension humaine et singulière de ce moine profondément libre intérieurement, totalement engagé pour la paix dans le monde et déterminé à tout faire pour qu’elle progresse.
C’est ce qu’il fait en parlant ainsi aux femmes, il suffit pour s’en convaincre de l’écouter encore : « La violence est démodée. Laissons les valeurs féminines s’épanouir dans nos sociétés afin de changer les mentalités. Les dirigeants politiques doivent donner des rôles plus importants aux femmes. C’est essentiel pour construire une paix durable et le futur de l’humanité.»
Le Prix Nobel de la Paix affirme ici avec force son point de vue : que les femmes sont selon lui les garantes de la pérennité de l’humanité et qu’il est urgent de propager les valeurs qu’elles incarnent naturellement : la compassion, la générosité, la tendresse. Avant qu’il ne soit trop tard et que la violence et les guerres de tous ordres, y compris économiques et environnementales, ne conduisent à des catastrophes irréversibles. Ce constat, Tenzin Gyatso le pose après avoir inlassablement sillonné le globe pendant plus de vingt ans pour participer à établir la paix au plan international avec les grands de ce monde, politiques, religieux, économistes, philosophes. Cependant, rien n’a fondamentalement changé ces dernières années. Bien au contraire. Il est difficile de nier que le monde va mal et que ses dysfonctionnements sont de plus en plus fréquents et nombreux. Cette accélération et cette aggravation des symptômes pourraient conduire aux changements qu’espère le Dalaï Lama. La crise internationale qui a débuté en septembre 2008 en témoigne. Particulièrement grave, remettant en cause l’ensemble du système économique, elle doit conduire à repenser l’éthique des systèmes financiers et à refondre profondément des valeurs de nos sociétés. Dans ce contexte difficile de rupture entre un monde qui s’achève et un nouveau monde en formation, les femmes seraient-elles, comme semble l’indiquer le Dalaï Lama, l’un des derniers espoirs de faire changer les choses pour apporter plus de conscience et de générosité dans nos sociétés ? L’appel qu’il a fait en France le laisse supposer. Mais sera-t-il écouté, lui qui, selon le classement annuel publié par le magazine Time début mai 2008, se situe dans le « top ten » des personnalités internationales les plus influentes ? Pour qu’il le soit, il faudrait qu’un vrai dialogue et une réelle parité entre les hommes et les femmes soient établis, et que nos vieilles mentalités et habitudes changent en profondeur. Ce sera possible si le contexte social et politique national et international s’y prête et y invite. C’est d’ailleurs peut-être déjà le cas.
Journaliste, ayant eue le privilège de le rencontrer à plusieurs reprises au cours des vingt dernières années, consciente de la portée politique et sociale des déclarations du Dalaï Lama, j’ai questionné et écouté ses interventions et ses enseignements de l’été 2008 avec un intérêt tout particulier lorsqu’il abordait la question des femmes. Depuis mars 2009, cela fait un demi-siècle, que le chef religieux et temporel vit hors de son pays. L’exil a permis aux Tibétains résidant à l’étranger de remettre en question leur système féodal et de découvrir la démocratie et les droits de l’homme, ce qui les a sans doute sauvés d’une forme d’intégrisme qui aurait pu naître d’une société repliée sur elle-même. L’histoire s’en est fait, ailleurs, le témoin. Dans le même temps, au Tibet, on a assisté à l’assimilation par les colons chinois de tout un peuple et à la disparition progressive de sa civilisation unique en matière de connaissance de l’esprit. Et ce dans une quasi-indifférence, surtout depuis que les Jeux Olympiques se sont achevés en Chine à la fin de l’été 2008. Une quasi indifférence entretenue par une dépendance économique croissante à l’égard de la Chine, qui a balayé les dernières réticences des chefs d’états européens à se rapprocher du géant asiatique. Le taux de croissance du pays, unique dans le monde tant il est positif, fait taire les consciences et attise les convoitises. Pourtant, depuis 50 ans d’occupation chinoise, la population tibétaine et sa culture meurent à petit feu sur le « Toit du Monde ». La répression continue, les droits les plus élémentaires des Tibétains sont bafoués et le Tibet est devenu, pour les siens, une immense prison où règne la terreur. Les Tibétaines subissent de plein fouet les mesures discriminatoires politiques, sociales, culturelles et religieuses. Quand elles sont emprisonnées, elles sont traitées plus durement que les hommes et doivent supporter des tortures ciblées et extrêmement pénibles. Depuis plus d’un demi-siècle, les autorités chinoises craignent les femmes tibétaines. Au Tibet et en exil, elles jouent un rôle essentiel pour préserver leur culture, leur tradition et leur religion. Et, elles se mobilisent et agissent avec un courage et une détermination exceptionnels pour mettre fin à la répression chinoise. C’est l’une de ces femmes au caractère indépendant et indomptable, au tempérament façonné par des siècles de mysticisme tibétain, qui donna naissance le 6 juillet 1935 au petit, Lhamo Dhondrub qui fut reconnu deux ans plus tard comme le 14e chef religieux et politique des Tibétains, Jetsun Jamphel Ngawang Lobsang Yeshe Tenzin Gyatso. Son peuple l’appelle plus sobrement, Yeshe Norbu, « Joyau Accompli » ou « Gyalwa Rinpotché ». Le reste du monde le connaît sous le nom de Dalaï Lama.
Le Tibet est désormais chinois. Les colons y sont plus nombreux que les tibétains de souche. Le processus est irréversible. Pourtant, trop rares sont celles et ceux qui s’inquiètent que les droits de l’homme soient en permanence bafoués au « Pays des Neiges ».
Depuis 50 ans, le monde a changé grâce au bouddhisme. Les apports de cette tradition par exemple dans la recherche en sciences cognitives sont incontestables. Que restera-t-il, si rien n’est fait, du Dalaï Lama, de son peuple et de cette civilisation dans les cinquante prochaines années ? Les valeurs comme la compassion, la générosité, ou la non-violence auront-elles transformé nos sociétés comme nous y invite le Dalaï Lama ? J’aimerais le croire, pour que l’avenir s’écrive de manière plus radieuse pour nos enfants. J’aimerais le croire pour que le Tibet et les valeurs du bouddhisme que le Dalaï Lama résume par cette phrase, « ma seule religion est l’amour », ne s’effacent jamais de nos mémoires et de nos vies. Un message universel que nous pouvons tous, croyants et agnostiques, reprendre à notre compte puisqu’il unit dans une même évidence tous ceux qui sont préoccupés par le sort des autres. C’était aussi celui de Soeur Emmanuelle qui, à la question : « À quoi ça sert la vie ? »,répondait tout simplement : « À aimer. » Aimer : il ne tient qu’à nous de relever ce défi pour transformer le monde ; modestement, chacun à noter échelle. Aimer : un défi et une responsabilité.