article de Catherine Barry
La crise du milieu de vie : ô secours, je suis mortel !
Une vie, un métier, ne suffisait pas à François Lelord pour combler sa soif de connaissance et pour comprendre qui il est et, par un phénomène en miroir, qui est l’Autre. Selon les circonstances, écrivain, voyageur, médecin, psychiatre, chercheur, il décrypte le monde et les êtres en essayant de découvrir, derrière chaque rencontre, le sens de l’existence. Une quête exprimée avec pudeur et délicatesse dans chacun de ses livres. L’un des plus connus, « le voyage d’Hector ou la recherche du bonheur », paru en 2002 et vendu à plus d’un million d’exemplaires dans le monde, a montré son talent à se relier au cœur des Hommes. Dans ce conte poétique moderne, Hector, jeune psychiatre, voyage de pays en pays pour découvrir, pourquoi les êtres humains ne sont pas heureux. Cette expédition intérieure lui fait prendre conscience que le bonheur ne se possède pas, ne s’achète pas ; qu’il résulte d’une aptitude de l’esprit, accessible à chacun, la où il se trouve, dans certaines conditions. Mais, ce qui était vrai hier, l’est-il encore 12 ans après pour Hector et Lelord? Tous deux ont vieillis et la crainte d’être passés, en partie, à coté de leur vie, pointe son nez…. D’où ce dernier ouvrage : « Hector veut changer de vie » publié chez Odile Jacob, dans lequel l’auteur se questionne sur cette fameuse « crise du milieu de vie » et sur ce qui permet de continuer à avancer sereinement, ou, pas, quand on prend soudain conscience, avec force, que nous sommes mortels et que le temps nous est compté !
Des casquettes différentes, symboliquement des identités différentes, est-ce pour mieux comprendre le monde ou pour fuir sa réalité?
De manière générale, exercer différents métiers, voyager dans de nombreux pays, enrichit notre expérience, notre perception de la vie, nos connaissances. C’est aussi ma façon de fonctionner. Non pour fuir la réalité qui m’intrigue, me questionne, me passionne, mais par curiosité et désir de m’enrichir intérieurement au contact des autres. Très souvent, je me laisse guider par les opportunités qui s’offrent à moi et qui m’invitent au voyage. C’est ainsi que j’ai découvert l’Asie il y a une dizaine d’années et que j’y vis, depuis, une partie de l’année. A l’étranger, on est confronté à de nouvelles valeurs, à des systèmes culturels et sociétaux autres. Cela conduit à se remettre en question ; à poser un autre regard sur notre façon d’appréhender les choses en tant qu’occidental. Se confronter à des choses nouvelles, sort de la routine, on apprend à mieux me connaître, à découvrir quelles sont nos limites et qualités. C’est fécond, vivant, enthousiasmant. De plus, je retrouve parfois en Asie, au Vietnam, en Thaïlande, en Chine, des impressions de mon enfance. Quand je les vois découvrir par exemple leurs premières vacances au bord de la mer, comme je le fis moi-même, autrefois, avec mes parents. J’aime la jeunesse et le dynamisme de ses populations. Dans ces régions, les conditions de vie s’améliorent d’année en année Le futur y paraît encore prometteur. Ce qui n’est pas le cas en France où une grande inquiétude existe quant à l’avenir.
Cela dit, certaines personnes très perspicaces et imaginatives comme Jules Vernes qui écrivit ses romans sans quasiment bouger de chez lui, n’ont pas besoin de grands changements dans leur existence pour concevoir des situations nouvelles et la complexité du monde. A chacun d’aller vers ce qui l’épanouit pour être heureux et satisfait. C’est quand même cela le but d’une vie : être satisfait de son existence. Certains y parviennent en ayant des activités intenses, d’autres en se satisfaisant de peu, …. Mais, j’ai besoin de voyager ; d’écrire ; de rendre mes proches heureux. Et, c’est la somme de tous ces éléments, qui répond à ma quête d’inspiration et participe à construire mon sentiment de bonheur, de contentement.
Au centre de votre dernier livre : la crise du milieu de vie…. A quoi correspond-elle ?
La crise de milieu de vie se situe en moyenne entre 40 et 50 ans et touche 8 à 10% de la population. Elliot Jacques, un psychanalyste canadien, l’a défini en 1965 comme étant le moment où l’on commence à prendre conscience que le temps qui nous reste, nous est compté ; que nous sommes mortels et qu’il n’existe plus d’infini des possibles. Si ce que l’on a réalisé jusqu’alors sur un plan personnel et/ou professionnel, ne correspond pas à nos rêves de jeunesse, que l’on s’ennuie ferme dans notre quotidien, voire que l’on est un peu déprimé, il peut y avoir crise. Lors de cette crise, certaines personnes, remettent tout en question, leur famille, leur travail, leurs valeurs…. et décident de se donner les moyens de répondre, sans attendre, à leurs besoins, souhaits, envies, intimes. Par souci de cohérence intérieure. Pour être heureuses avant « qu’il ne soit trop tard ». C’est en général très douloureux et perturbant pour elles et pour leurs proches.D’autres s’adaptent et procèdent à des modifications et réajustements mineurs qui leur permettent de continuer leur travail, leur couple, leur vie de famille, sans générer de trop grands bouleversements et sans heurts violents avec l’entourage. D’autres encore, comme Hector dans le livre, ont une liaison ponctuelle. Puis, tout rentre dans l’ordre. Il n’y a ni à condamner, ni à juger, mais à comprendre et à accompagner.
Quelle attitude adopter pour sortir sans trop de casse de cette crise « existentielle » ? Faut-il consulter un psychiatre ? Un thérapeute ?
La première chose, essentielle, est d’accepter la crise, sans culpabiliser, sans s’alarmer. Il convient ensuite de s’efforcer de ne pas rejeter en bloc son passé, de ne pas en faire une lecture négative, de ne pas oublier les bons moments et les souvenirs heureux qui l’ont précédés. Ce type de crise n’est ni une maladie, ni un signe de faiblesse, ni un pêché. Il est somme toute assez banal d’éprouver un sentiment d’insatisfaction, de déception, de frustration, de colère… vis-à-vis de son existence. Ce qui l’est moins, c’est l’intensité de certaines crises de milieu de vie, et l’état émotionnel intense, perturbé, qui les accompagne et qui empêche de prendre du recul sur les choses. Quand c’est le cas, il est préférable de ne pas prendre de décisions impulsives, mal préparées, radicales et irréversibles et de parler avec un thérapeute expérimenté, bienveillant, en qui on a confiance. Cela aide à mieux se connaître, à évaluer la situation ; à relativiser s’il y a lieu ; à prendre du recul ; à accompagner la crise au sein du couple, de la famille, le divorce s’il y a lieu ; à explorer les possibilités et perspectives qui s’offrent vraiment ; bref, à être dans le concret.
Profiter et non subir cette crise du milieu de vie, c’est accepter d’être vulnérable et mortel?
D’une certaine façon, oui. Dans nos sociétés soumises au dictat du jeunisme, la caricature de la personne qui subit cette crise, est l’homme qui passé la cinquantaine, à une liaison avec une femme plus jeune, achète un cabriolet rouge… On trouve moins ce type de représentation chez les femmes. Sans doute du fait des enfants. En Occident, la crise du milieu de vie est plus forte depuis que nous prônons de nouvelles valeurs de réalisation de soi, que la foi religieuse décline, que le bonheur est devenu un bien de consommation comme un autre, ce qui le rend, en théorie, accessible à un grand nombre de personnes, et qui conduit à culpabiliser si on échoue dans notre quête à être heureux.
Quels sont, au final, les essentiels d’une vie ? Essentiels qui se découvrent notamment dans votre dernier livre…. Quel est le message principal que vous voulez faire passer, cette fois, à vos lecteurs ?
des régions où d’année en année, les conditions de vie s’améliorent, un peu comme quand j’étais petit. J’y retrouve parfois des impressions de mon enfance quand je les vois découvrir par exemple leurs premières vacances au bord de la mer, comme je le fis moi-même avec mes