Depuis le début de l’année 2011, pour protester notamment contre le manque de liberté de culte au Tibet, dix moines et nonnes tibétains se sont immolés par le feu, ou on tentés de le faire, dans le sud-ouest de la Chine. De nombreux tibétains de souche résident dans la province de Chengdu qui faisait partie du « Grand Tibet » avant 1959. Plus de 50 ans de dure colonisation chinoise n’ont éteint ni leur foi, ni leur volonté de vivre selon leur tradition religieuse. A l’instar de Sa Sainteté le Dalaï Lama, ils ne demandent pas l’indépendance de leur région mais une autonomie qui les laisserait libres de pratiquer selon leurs choix et qui permettrait aux valeurs fondamentales de la civilisation tibétaine de perdurer. L’une d’entre elle, majeure, étant la non-violence.
Au-delà de la question politique, il importe d’essayer de décrypter ce que représente l’immolation contestataire dans le bouddhisme. Les occidentaux comprennent rarement cette forme d’opposition pacifique qu’ils considèrent en général comme une forme de suicide et donc comme une violence commise envers soi-même.
Dans le bouddhisme, le suicide est bien entendu prohibé car du fait notamment des renaissances et du karma, la loi de causes à effets, cet acte ultime ne règle en rien les causes qui poussent à s’ôter la vie. Bien au contraire. Il est dit traditionnellement qu’une personne qui se suicide sera contrainte de renaitre, encore et encore, dans de grandes conditions de souffrance jusqu’à ce qu’elle comprenne le sens de cette dernière. Ce qui pourrait paraître machiavélique si le bouddhisme n’enseignait pas que la manière dont on envisage la souffrance dépend du prisme avec lequel on l’analyse ; et s’il n’apprenait pas à l’appréhender de manière à ne plus la subir, grâce à des moyens codifiés qui demandent cependant de longues années de pratiques.
On ne le répètera jamais assez, le bouddhisme n’est pas une voie magique mais une ascèse, un chemin de transformation de la souffrance et des émotions, qui enseigne à s’en libérer, pas à pas, si on décide de suivre ce chemin. Ce qui ne veut pas dire que l’on ne souffre plus mais que la progression qui se fait au cœur de cette expérience est libératrice des causes et conditions extérieures et intérieures qui génèrent, habituellement, de la souffrance. Il est difficile de résumer en quelques mots, la voie bouddhique et ce que véhicule cette notion de souffrance dans cette tradition mais, il importe d’ajouter ici que le bouddhisme prend en grande considération la souffrance des êtres, que jamais il ne les juge ,et qu’il n’est ni insensible, ni indifférent aux immenses souffrances qui conduisent au suicide.
Dans le bouddhisme comme dans toutes traditions spirituelles, la question du suicide n’est pas une question philosophique à débattre. Les religions proposent des moyens différents pour un but assez semblable dans la forme bien que différent dans le fond : libérer de la souffrance les êtres et préserver leur existence le plus longtemps possible.
Pour en revenir au suicide des moines, les vies antérieures du bouddha racontent une histoire dans laquelle le bouddha offre sa vie dans des circonstances particulières afin de sauver une 12aine de personnes menacées de mort par un bandit de grand chemin.
Qu’est-ce que cela signifie ?
Que la motivation qui conduit à se suicider dans ce type de circonstance, détermine les conséquences karmiques de l’acte et le devenir des renaissances. Dans ce contexte, offrir sa vie, en conscience, pour épargner d’autres vies est donc un acte d’une grande générosité ; acte commis en général par des religieux.
C’est ainsi qu’il convient d’analyser le geste de ces moines et nonnes. L’immolation est ici un appel au secours désespéré adressé à la communauté internationale par des êtres désireux de pratiquer leur religion librement.