Article paru en 2016 dans la revue des anciens de l’ENA
En Occident, ce sont surtout trois écrivains de la «Beat Génération, Jack Kerouac, Allen Ginsberg et William Burroughs, qui firent connaître, au début des années 50-60, le soft power bouddhiste. Ce mouvement influença ensuite une partie de la jeunesse américaine, puis européenne. Ses principes, inspirés de la philosophie bouddhiste, la non-violence, la compassion, l’empathie, l’amour, …, librement réinterprétés, fournirent dans les années 68, à toute une génération, les bases d’une nouvelle vision de l’existence. La culture hippie, prônant les fameux « Peace and Love » et « Flower Power », et remettant en question les conventions familiales, sociales et sexuelles traditionnelles, en est issue ; les formes d’actions et d’engagement non-violentes qui apparurent dans les années 70-80, pour s’opposer à des guerres comme celle du Vietnam, également. Les élites intellectuelles mêmes commencent à s’emparer du sujet, à l’image de l’économiste Serge-Christophe Kolm qui publie aux PUF, en 1982, avec un certain retentissement, « Le Bonheur-liberté, Bouddhisme profond et modernité ».
Ce phénomène ne concernait alors qu’une petite partie de la population occidentale, plutôt jeune et privilégiée. Mais, à partir de 1989, date à laquelle le 14ème Dalaï Lama, Tenzin Gyatso, chef religieux et temporel des Tibétains, reçut le prix Nobel de la paix pour son action non violente contre les dirigeants chinois, c’est la planète toute entière qui commença à se passionner pour le bouddhisme et, qui éleva le très charismatique moine tibétain, au rang de représentant idéal du soft power Bouddhiste. Ce qu’il demeure depuis lors. Selon Le classement annuel du Time, le Dalaï Lama figure en effet parmi les 100 personnalités les plus influentes du monde. De nombreux chefs d’État l’ont reçue, de manière officieuse pour ne pas risquer de contrarier la Chine, et s’en inspirent. Pour preuve, le mot compassion, qui n’était jamais utilisé dans les discours officiels avant les années 90, est désormais couramment employé par les politiques dès qu’une catastrophe humanitaire ou environnementale se produit. Les philosophes, intellectuels, sociologues, économistes, représentants religieux et autres acteurs de la société civile l’invitent dans des sommets internationaux pour parler sérénité, vivre ensemble, paix, éducation, environnement, économie circulaire, bienveillance, altruisme. Enfin, un autre domaine, moins public, montre l’impact considérable et désormais irréversible du soft power bouddhiste en Occident : celui des neurosciences. C’est un neurobiologiste de renommée internationale, Francisco Varela, qui, de son laboratoire de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, en France, initia les premières rencontres entre le Dalaï Lama et des scientifiques. Le succès fut tel que les deux hommes cofondèrent, en 1987, le Mind and Life Institute, qui réunit depuis, régulièrement, des bouddhistes et des chercheurs du monde entier. Les découvertes sur la neuro-plasticité, issues de ces échanges, ont considérablement fait évoluer les connaissances et pratiques des sciences cognitives. Les expérimentations sur la méditation de la Pleine conscience, méthode très répandue aujourd’hui en Occident, montrèrent aussi qu’il est possible d’éviter 50% des rechutes dépressives. Rappelons que, selon l’OMS, la dépression sera la deuxième cause d’invalidité dans le monde d’ici 2020. Tous les milieux étant concernés par cette nouvelle approche de la santé et du bien-être, l’engouement massif suscité par le soft power bouddhiste est indéniable. De même que la fascination pour ses représentants les plus connus, le Dalaï lama, Matthieu Ricard, et le Docteur Christophe André qui, le premier, introduisit la méditation, il y a une dizaine d’année, à l’Hôpital Sainte Anne, à Paris.
Depuis les années 90, le soft power bouddhiste est donc devenu un système d’influence majeur non seulement en Occident, mais aussi dans de nombreux pays d’Asie. La Chine est concernée également par ce mouvement, le bouddhisme y retrouve peu à peu ses lettres de noblesses, ce qui s’explique notamment par la libéralisation progressive des systèmes politiques et par la grande considération que les Asiatiques vouent aux fondateurs de l’histoire de leur continent. De fait, l’histoire de l’Asie est riche de deux figures mythiques du bouddhisme. Le Bouddha, bien sûr, qui enseigna au Vème siècle av. JC, les principes sur lesquels s’appuie le soft power bouddhiste ; et Açoka, un empereur indien de légende, qui incarna, au IIIème siècle avant JC, au plus haut niveau de l’Etat, le soft power bouddhiste. Il fût le premier souverain de l’Histoire à diriger son empire en appliquant les principes bouddhistes sur une très grande échelle, en Inde et en dehors de l’Inde. Grand communiquant, il fit graver sur des colonnes, dans les langues et dialectes des régions sous son autorité, les édits royaux et les principes bouddhiques sur lesquels il s’appuyait pour gouverner : l’impermanence, la loi de causalité, la compassion, la non-violence…. Açoka fut ainsi le 1er exemple de dirigeant qui incarna dans l’histoire de l’Asie, le soft power bouddhiste.
Aujourd’hui, la « Dalai Lama mania » des années 90-2010 passée, force est de constater que d’autres représentants, religieux et laïques, ayant pris le relais, l’influence du soft power bouddhiste continue à s’étendre, dans le monde entier et dans toutes les couches de la société. Une grande partie de la population occidentale (dirigeants politiques et d’entreprises, chercheurs, enseignants, sociologues, thérapeutes, mais aussi un grand nombre de citoyens dans le monde), en a en effet d’ores et déjà adopté les principes, au quotidien. A l’heure où les problèmes inhérents aux conflits, une démographie galopante et les défis économiques et environnementaux considérables obligent à repenser notre vision du monde et notre manière de vivre ensemble, le soft power bouddhiste, qui prône tolérance, partage, solidarité, compassion et non violence dans les comportements et rapports humains, permettra peut-être de faire émerger des solutions éthiques pour penser et construire notre futur, en suivant le conseil du Dalaï Lama : « Adopter une attitude non violente, c’est trouver des solutions acceptables pour l’ensemble des parties engagées dans ces échanges ».
Encadré : les principaux principes qui structurent le soft power bouddhiste : 1/ Le 1er : la motivation : Dans le bouddhisme tout commence par l’esprit. Influencer sa nature de manière positive se fait en engendrant d’abord la motivation d’agir pour le bien de tous les êtres |
Catherine Barry, journaliste ( France télévisions) et auteur, spécialiste du bouddhisme, du Dalaï Lama, du Tibet. www.catherine-barry.fr