La méditation de la Pleine Conscience présentée par son fondateur pour la première fois en France

article de Catherine Barry paru dans Nouvelles Clés en 2009

                                                     Un évènement

C’est la première fois que Jon Kabat-Zinn vient en France pour parler de la méditation de la Pleine Conscience et des méthodes qu’il a commencé à mettre au point il y a 30 ans maintenant aux Etats-Unis. Il vient de fêter ses 65 ans. L’homme est charismatique, le teint hâlé, dynamique. Il habite l’espace, le temps, avec un naturel qui atteste de son expérience de la « Pleine Conscience ». Son travail, connu dans le monde entier, commence à peine à être découvert par les Européens, du moins dans le milieu médical, encore peu familiarisé avec les étonnantes capacités de transformation de l’esprit. Mais, les choses changent rapidement. En quelques jours, dès l’annonce de sa venue à Paris pour animer un séminaire, plus de plus de 300 personnes se sont inscrites pour venir écouter cet homme doué pour la vie et les autres et qui est à la fois médecin, scientifique, écrivain, enseignant de méditation et professeur émérite à la Faculté de Médecine de l’Université du Massachussets où il a fondé en 1979, la première clinique de réduction du stress, la Mindfulness-Based Stress Reduction (MBSR) Clinic. Et, en 1995, le Center for Mindfulness in Medecine, Health Care, and Society, un centre dédié à la Pleine conscience dans les domaines de la médecine, de la santé et de la société. Il est aussi, membre du conseil d’administration du célèbre Mind and Life institute* qui promeut le dialogue et la recherche, au plus haut niveau, entre les sciences modernes et les traditions contemplatives.

Nous sommes dans l’une des salles de la Mutualité. Le palais du peuple accueille 300 chercheurs en quête de la pleine conscience. Il est 9H30, l’atelier de pratique vient de commencer. Il est dirigé par
Danielle Levi Alvares, formatrice qui travaille aux côtés de JKZ depuis de nombreuses années.
« Nous allons commencer par faire un body scan. » dit-elle à la salle.
Le terme inhabituel semble connu des participants. Il s’agit de porter une attention soutenue et intentionnelle, aux différentes parties du corps, sans jugement, en demeurant ouvert à l’expérience qui se déploie instant après instant. Le but poursuivi : ne plus demeurer dans le faire ou dans l’avoir mais rester dans l’être.
L’exercice débute par les pieds, le gros orteil gauche. Le moindre morceau de peau est senti, perçu. Les contacts des orteils entre eux, l’espace qui les sépare…. Et, il en est ainsi progressivement de tout le reste du corps jusqu’à la racine des cheveux.
L’exercice devient ensuite plus dynamique. Les bras bougent, légèrement. Devant, à droite, à gauche. Les exercices se poursuivent ainsi, dans le silence, pendant près de deux heures.
On pourrait entendre une mouche voler. La concentration des personnes présentes est impressionnante. C’est un moment de plénitude, de sérénité, de partage « d’esprit à esprit, de cœur à cœur » auquel on ne s’attend pas dans un séminaire.
Près de Danièle, JKZ a suivit toutes ses indications. Comme s’il était l’un d’entre nous. Il n’a pas voulu diriger l’atelier. Il ne parle pas suffisamment bien notre langue et pense qu’il est préférable de transmettre cette pratique directement, sans passer par le biais d’un traducteur. De plus, il ne veut pas que les gens s’attachent à sa personne. « Ce qui compte, c’est la méthode, pas moi » dit-il. Cet homme ne semble pas avoir le culte de la personnalité. Chose rare à notre époque.

A la pause, je discute avec Danièle. Derrière tout homme, se cachent des faiblesses, des failles. Je voudrais savoir quelles sont celles de Jon. Mais, d’évidence, ce n’est pas cette femme d’une 60 aine d’années qui pourra en parler. C’est une inconditionnelle de la méthode MBSR. Elle a eue trois cancers, deux mélanomes et un cancer du sein. Elle les a affrontés sans trop de difficultés grâce à sa pratique quotidienne de la pleine conscience. Elle raconte, le sourire aux lèvres que ce n’est ni les cancers, ni la mastectomie qui ont été, pour elle, les plus difficiles à vivre. Mais, un problème lymphatique qui en créant un œdème important à l’un de ses membres inférieurs (elle me montre le bas de contention qu’elle porte), a remis en cause sa féminité, son image corporelle. Avec beaucoup de grâce et de recul, elle m’explique que dans la pratique, ce sont souvent de petits détails, de toutes petites choses qui sont le grain de sable qui vient perturber la belle mécanique bien huilée mise en place pendant des années ; qui montre où on en est réellement.
Pour elle, KKZ incarne totalement ce qu’il dit et enseigne. C’est aussi pour cela que ce qu’il transmet « marche » ajoute t’elle. Pour preuve trois anecdotes vécues quand elle travaillait avec lui au début des années 90 dans une clinique de réduction du stress bilingue, espagnol et anglais, qu’il avait crée, pour les populations pauvres de la ville de Worcester à l’Ouest de Boston. Il y avait aussi mis en place une crèche pour accueillir les enfants et un service de taxis de porte à porte pour ceux qui n’avaient pas les moyens de se déplacer. Le premier jour de l’ouverture de la crèche, la puéricultrice ne se présente pas. J’étais débordée, stressée mais pas Jon qui s’est improvisé nounou et qui parlait aux enfants et aux mères dans un jargon anglo-hispanique inventé de toute pièce. Les femmes, portoricaines, habituées à vivre très souvent des situations de grandes violences étaient touchées par la douceur de Jon. Pour moi, c’était l’incarnation de ce que veut dire pratiquer la Pleine conscience. Ne pas se contenter de pratiquer assis sur un coussin mais savoir se montrer généreux de son temps et de son énergie, être ouvert à ce qui se passe et savoir répondre à ce que demande la situation présente.
Une autre fois, la directrice portoricaine de la crèche me téléphone pour me dire qu’elle ne plus continuer à travailler pour moi car son mari à trouvé une cassette d’exercice sur laquelle était écrit le mot yoga. Il pense que sa femme travaille dans une secte, pour le diable. Il veut qu’elle démissionne. J’appelle Jon qui me dit : tu fais revenir toutes les cassettes où est écrit le mot yoga et tu le changes par autre chose. Mais par quoi lui dis-je ? Ce que tu me veux me répondit-il. Et, c’est ainsi que yoga est devenu exercices corporels et que la directrice à pu continuer à travailler. Cet exemple montre que Jon n’est pas attaché à la forme mais au fond.

Ces anecdotes expliquent sans doute mieux qui est JKZ que n’importe quel discours. Et, la motivation des 6 femmes qui sont à l’origine de l’association francophone sur la pleine conscience pour monter cette entreprise. Claude Maskens, présidente de l’association, psychologue et psychothérapeute et traductrice des ouvrages de Jon Kabat-Zinn, enseigne à l’université de Louvain-la-Neuve, en Belgique, la méditation en pleine conscience. MBSR est destinée à un vaste public et peut-être utilisée dans tous les milieux. Elle est ravie du franc succès que rencontre d’ores et déjà la méthode en entreprise.

Mais alors quid des méthodes de visualisations poussées pratiquées dans le bouddhisme tibétain ? Pour répondre à cette question que tout pratiquant du Vajrayana ne peut que se poser au bout d’une journée dédiée à la pleine conscience, j’interroge, Geneviève Hamelet, vice présidente de l’association et pratiquante bouddhiste depuis plus de 20 ans. Il est vrai dit-elle en substance que les résultats escomptés après des années de pratique intensive de visualisation des déités par exemple, ne semblent pas toujours probants. C’est sans doute du au fait qu’avant de parvenir à cette étape de la pratique, la plupart des étudiants bouddhistes n’ont pas suffisamment pratiqués la Pleine conscience. Dès lors, toute visualisation se fait avant tout de manière conceptuelle, ce qui va à l’encontre de ce que demande la pratique.

Quel que soit le chemin emprunté pour questionner sur la pleine conscience, cette méthode semble convaincre la plupart de ceux qui la pratiquent. Les personnes présentes viennent de tous les milieux. Toutes ont pour désir, de se prendre en main, de vivre leur existence pleinement, de ne plus dépendre de leurs pensées et émotions destructrices.

Tout au long de son intervention, JKZ montre de manière très concrète à son auditoire comment nos sens nous trompent très souvent, que nous pouvons apprendre à ne plus subir les virus des illusions qui nous emportent loin de nous si nous pratiquons, chaque jour, 30 à 45 minutes. Et, il conclue la journée en disant « qu’il faut arroser notre vraie nature comme une graine que l’on veut faire pousser». Rien de grandiose à cela. Mais, de l’avis de tous ceux que j’ai rencontré et qui pratiquent depuis des années cette méthode, c’est l’un des plus beaux cadeaux de la vie. Une invitation à vivre pleinement, sans attendre.

A lire :

Jon Kabat-Zinn :

  • « Au coeur de la tourmente, la pleine conscience » (De Boeck), traduction de « Full Catastrophe Living » de Claude Maskens. Cet ouvrage reprend intégralement et commente le programme de réduction du stress basée sur la pleine conscience, MBSR. Cette approche invite à utiliser la sagesse du corps et de l’esprit face au stress, à la souffrance, à la douleur et à la maladie.
  • « L’éveil des sens » (Les Arènes), traduction de « Coming to our senses ».
  • -« Où tu vas, tu es », J’ai Lu, 2005 ;

Christophe André, médecin : « Les états d’âmes – Un apprentissage de la sérénité ». Odile Jacob

Pour tout renseignement :
Le site de l’association francophone sur la pleine conscience : www.association-mindfulness.org

Nous sommes à l’hôpital Sainte-Anne à Paris. C’est le premier établissement français à avoir introduit la méthode de la pleine conscience dans ses murs en 2004 grâce au médecin psychiatre et psychothérapeute, Christophe André. Christophe André s’intéresse depuis toujours à l’esprit, aux émotions et à la spiritualité au sens large. Il propose à ses patients – parmi d’autres pratiques – le programme MBCT qui intègre des techniques de thérapie cognitive associées à la pratique de la méditation pour prévenir les rechutes dépressives. La MBCT permet de se centrer sur le moment présent, de se tenir à l’écart des ruminations négatives, tout en favorisant une nouvelle attitude. C’est Matthieu Ricard qui le premier lui a parlé des résultats scientifiques obtenus grâce à cette méthode. Ce qui a permis à Christophe André de justifier son emploi à l’hôpital. D’ores et déjà, force est de constater que les résultats obtenus à court terme pour 2/3 de ces patients sont bons. La plupart ne font pas de nouvelles dépressions. En cas de problème, ils peuvent revenir consulter bien que cela ne soit pas encore suffisamment codifié. Il faudrait peut-être envisager comme en Suisse, pense Christophe André, une « open thérapie », à la carte, où le patient qui en ressentirait le besoin pourrait venir pratiquer, librement, une fois par semaine, avec un thérapeute.
Christophe André est toujours en recherche. Il a eue la chance d’assister en 2007 aux rencontres scientifiques, Mind and Life, rencontres de haut niveau organisées à Dharamsala, en Inde, qui accueille le dalaï-lama et le gouvernement tibétain en exil. Il parle à ce propos, de « contagion de l’exemple » dès lors qu’on est en relation avec des grands méditant. Comme tant d’autres, cela lui a donné envie de faire évoluer sa pratique.

Les résultats scientifiques obtenus ces dernières années encouragent de plus en plus de médecins à se former aux méthodes de la Pleine Conscience. C’est le cas par exemple du docteur Marie-Ange Pratili, gynécologue qui a organisée au Centre anticancéreux René Huguenin de St Cloud, une rencontre entre une 50aine de médecins spécialistes de la douleur et des soins palliatifs, venus de toute la France et JKZ. Après cette conférence, elle souhaite construire une étude afin d’étudier les effets de la Mindfullness sur les patients cancéreux qu’elle suit et qui souhaiteront compléter leur traitement par cette méthode. La spécificité du MBSR pour Marie-Ange est d’utiliser des outils qui viennent de la médiation bouddhiste mais qui sont utilisés dans leurs aspects universels. Il existe une réelle demande précise t’elle encore. Beaucoup de malades veulent prendre en charge leur souffrance ; ne pas se laisser déborder par elle. Il est donc essentiel pour nous, médecin, de tenter de répondre à cette demande.

*Mind and life institue et Francisco Varela :
Le mind and life institue fut fondé en 1987 par Francisco Varela, chercheur renommé au plan international en neurosciences et par Adam Engle, un homme d’affaire américain. Tous ce qui a pu être accompli ces dernières années en matière de recherche sur l’esprit, sur la neuroplasticité du cerveau, sur les bienfaits de la Pleine Conscience nous le devons à ses deux hommes qui ont su s’allier des êtres d’exception comme le Dalaï Lama, Matthieu Ricard et d’autres chercheurs en sciences cognitives connus dans le monde entier afin de faire avancer le dialogue et la collaboration entre science contemporaine et science contemplative. C’est ainsi que sont nés de nombreux projets qui réunissent les meilleurs spécialistes de ces deux traditions. L’équipe de l’université du Wisconsin dirigée par le Pr. Richard Davidson a recruté par exemple plusieurs bouddhistes tibétains qui ont accompli un total de 10 000 à 50 000 heures de méditation sur une période de 15 à 40 ans – ainsi qu’une dizaine de sujets témoins. Chacune des personnes a subie une batterie d’examens au moyen de divers outils d’imagerie médicale afin de mesurer ce qui se passe pendant et après une phase de méditation. Les résultats obtenus confirment notamment que les expériences décrites par les bouddhistes tibétains, un état altruiste stable qui se prolonge dans le temps, même après l’arrêt de la méditation, correspondent bien à une activité cérébrale spécifique. Ces résultats permettent de mieux comprendre comment fonctionne la neuro-plasticité neuronale.

** MBSR – Mindfulness Based Stress Reduction, ou réduction du stress basée sur la pleine conscience (Jon Kabat-Zinn)
• MBCT – Mindfulness Based Cognitive Therapy, ou thérapie cognitive basée sur la pleine conscience (Zindel Segal, Mark Williams, et John Teasdale)
• Autres applications de la Mindfulness telles que la thérapie dialectique (Marsha Linehan) et la thérapie ACT ou Acceptance and Commitment Therapy (Steven Hayes).

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