Ce qui frappe lorsque l’on rencontre des êtres ayant traversé les épreuves de la vie, sans devenir aigri, sans manifester la moindre amertume, c’est la grande humanité qui rayonnent d’eux et qu’ils offrent, naturellement, sans rien attendre de particulier, avec une totale générosité à ceux qu’ils côtoient. Boris Cyrulnik est de ces êtres ! Son histoire, celle d’un petit garçon juif dans la guerre, la manière dont il a compris et réparé ses blessures, ses combats, il les a raconté, humblement, pour aider ceux qui se reconnaissaient dans ces blessures à passer de la survie à la vie. Grâce au concept de résilience, qu’il a mis en mots, il nous a appris qu’il est possible de ne pas céder à la fatalité et que nous pouvons ne pas reproduire certains schémas familiaux destructeurs. Que demeurer victime de soi, des autres et des circonstances est un choix de chaque instant. Que « la vie nous appelle » et que nous pouvons entendre ce qu’elle nous dit, derrière les apparences, si nous le décidons.
Dans Les Âmes blessées, son dernier livre oublié chez Odile Jacob, Boris Cyrulnik, pas à pas, nous assistons avec lui qui en deviendra un acteur essentiel, à la création et à l’évolution de neuropsychiatrie, cette discipline qui a changé radicalement notre relation à nous-même et aux autres et qui n’en finit pas de se métamorphoser grâce aux neurosciences.
Dans cet univers qui est loin d’être celui des Bisounours, on comprend mieux le cheminement de ce médecin des âmes de 77 ans qui n’a jamais renoncé, quand les obstacles, et ils furent nombreux, se dressèrent sur son chemin. Ce qui explique sans doute qu’il conserve intacte sa curiosité d’adolescent et qu’il pose toujours sur le monde et les êtres un regard serein, malicieux et bienveillant. Entretien.
Rencontre pour Lyon Capitale : extraits
Dans ce livre, vous dites que dès 11 ans vous avez désiré être psychiatre, pour comprendre et exorciser la folie des hommes. Racontez-nous…
Pour maîtriser ce monde et ne pas y mourir, il me fallait comprendre ! La nécessité de rendre cohérent le chaos affectif que je vivais m’a rendu psychiatre, dès mon enfance. J’ai donc d’abord suivi cette voie parce que j’avais un compte à régler. Ce qui fut aussi à l’époque le cas de beaucoup de mes collègues. C’est moins vrai aujourd’hui pour les jeunes psychiatres. La plupart s’intéressent d’abord à la démarche scientifique et humaine de la psychiatrie. Cette manière de faire bouillonner les idées influera forcément sur l’évolution de cette discipline.
C’est ainsi que vous êtes devenu neurologue, éthologue, psychiatre…
Et… maître-nageur (sourire). En réalité, j’ai fait comme tout le monde. Quand on souffre, soit on s’abandonne et on renonce, soit on affronte et on cherche à comprendre et à se faire aider. Quand j’étais enfant, comme pour tous les enfants, mon monde était binaire. D’un côté, se trouvaient les “justes”, les bons, ceux qui m’aidaient, me protégeaient et me faisaient du bien. De l’autre, les méchants, les nazis. Très jeune, pour m’en protéger et m’en rendre libre, j’ai voulu comprendre la folie nazie. Cela a orienté mon parcours. Ce mode de pensée totalitaire revient en force aujourd’hui. C’est inquiétant. Nous devons tout faire pour désamorcer ce processus. L’un des moyens dont nous disposons pour cela est de discuter, paisiblement, avec ceux qui l’expriment, en leur donnant le plaisir de douter, de se remettre en question, de comprendre, d’être en lien avec autrui, et en s’intéressant au contexte familial, religieux, social dans lequel ils évoluent. Les neurosciences montrent que le cerveau est sculpté par le milieu et les efforts psychologiques que l’on fait, ou pas. Si je suis seul, je rumine, j’aggrave ma souffrance. Si je m’ouvre, que je rencontre quelqu’un à qui je fais confiance, il ou elle va me décentrer de moi et je vais devoir faire un effort pour me faire comprendre. Cet effort modifie la structure et le fonctionnement du cerveau.……
En conclusion, que raconte ce livre, de vous ?
Comme le disait Vincent de Gauléjac, “toute théorie, dans tous les domaines, est un aveu autobiographique”. Ce qui ne signifie pas que les choses soient fixées à jamais. Tout reste, toujours, (re)jouable. Lorsque j’écris ou dis ce qui m’est arrivé, je ne suis plus soumis au malheur, aux événements passés. Je ne les subis plus. Je remanie ma représentation de ce que j’ai vécu. Si je me retrousse les manches, et que j’ai une idée du but à atteindre, je redeviens maître de mon monde intime. Je donne du sens aux choses que je perçois. Ce que je peux faire si je sais d’où je viens et où je veux aller, et y travaille, y crois, le veux. Cette dynamique métamorphose le monde et la manière dont j’éprouve ce que je fais, le réel. Elle est possible à tout instant.
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