Christian Bobin, l’homme de la lumière

CHRISTIAN BOBIN vient de s’envoler pour les étoiles.

Immense poète, il éclairera et émerveillera désormais nos existences autrement. Il disait de la mort :

« La mort est peut-être la carte la plus belle »

J’ai eu la chance de rencontrer ce magnifique humain pour le Point.fr il y a 10 ans à l’occasion de la sortie de « L’homme-joie »…

Voilà un extrait de notre entretien : des mots bouleversants et un livre choc indispensable pour nous réveiller, aujourd’hui plus que jamais. Et, pour vivre pleinement l’instant

On ne lit pas Christian Bobin, l’un des plus grands poète de sa génération, sans se laisser emporter, pénétrer, par la transparence cristalline de son verbe. On découvre, savoure, ses mots avec précaution, ce qui n’empêche pas l’enthousiasme, tant il nous offre la vérité bouleversante de son être et de ses expériences, de manière tranchante, forte, unique, authentique. Dans son dernier livre, l’homme-joie (Editions de L’Iconoclaste) il nous parle de sa manière d’être présent, à ce qu’il ressent ; des moments qui le frôlent légèrement ; des rencontres qui s’insèrent intensément en lui ; et de son amour perdu, qui n’empêche en rien, dit-il, que la vie soit « bien plus belle que ce que nous l’imaginons ». Pour nous aider à ne plus nous laisser distraire, à laisser tomber les masques et à découvrir la joie en toute chose, le poète incandescent nous offre dans ce recueil, un voyage étonnant au cœur des mouvements du silence, des couleurs de la lumière, des ténèbres du quotidien, des éclats de rire exubérants de l’existence. Et, parce que, tout, pour lui, est vivant, en lien, en résonance, quand nous refermons son livre, ébranlés, nous regardons le monde autrement.

On vous sait solitaire, on vous imagine sauvage, peu enclin à la conversation, et notre rencontre débute par un grand rire.

Beaucoup de sourires traversent mes livres. Ils rayent, un peu, la vitre de papier. J’aime aller voir ce que je ne connais pas, l’imprévu, rencontrer des gens. Il n’y a rien de plus rare, ni de plus vivant, ni de plus important au monde que d’essayer de rencontrer quelqu’un. L’autre est un miroir. Si le miroir est de bonne qualité, il nous permet de nous deviner en lui. Il y a très peu d’évènements fondateurs dans une existence. Quatre ou cinq. Tout ce qui mérite le nom d’évènement est sans doute de l’ordre de la rencontre. Le coup porté par une émotion, le bouleversement induit par une beauté ou une épreuve, font  que l’on se rencontre soi-même et autre chose de soi. La rencontre est le but et le sens d’une vie humaine, permet qu’on ne la traverse pas en somnambule. Quand mes yeux se fermeront, ils le feront sur une immense bibliothèque constituée par des visages qui m’auront ému, troublé, éclairé. Un être bienveillant est tourné vers autre chose que lui-même. Le soin qu’il prend de l’autre, l’illumine, le rend vivant. Il capte une lumière et la renvoie. Son visage est éclairant. C’est quelque chose de rare.  La richesse de cette vie est faite surtout de visages et de quelques paroles. Les mots ne sont pas les plus importants. Ils enferment parfois. En revanche, lorsqu’ils sont simplement allusifs, à peine écrits, ils amènent le lecteur à faire un travail psychique sur lui-même ; un travail délivrant pour lui. Les livres sont agencés pour permettre à un silence bienfaisant, fraternel de venir. Dans cet espace, quelque chose de l’auteur rencontre le lecteur, et celui-ci y rencontre quelque chose de lui. Dans ce monde, on parle trop, pour ne rien dire. Ecrire, permet d’aérer le langage, de faire venir de la lumière, quelque chose de neuf et de silencieux, entre les mots, sous les phrases. Et, ce silence est bienfaisant.

Comment présenteriez-vous l’homme-joie ? C’est un livre construit en 15 récits dédiés à celle que vous avez aimé, et que vous continuez à aimer…

 L’homme-joie est au bord d’être perdu, au bord d’être trouvé… (Immense éclat de rire)…

C’est un titre de noble, une figure archétypale de l’homme à venir, qui n’existe que par intervalle, en chacun de nous. Le sautillement d’une enfant dans les flaques d’eau, n’a qu’un temps, bref, suspendu.  La joie dont je parle ici, lui ressemble. Passagère, elle nous traverse le cœur par intermittence, mais, étrangement, elle est nous, plus que nous. L’enfant qui sautille, convertit la petite malédiction de la pluie en jubilation, en jeux. La joie dont il est question dans ce livre, aussi, transforme toute malédiction en gaité. C’est quelque chose vers lequel nous pouvons tendre, un soleil à venir. La vie dispose de nous. Le travail c’est la vie qui le fait, pas nous. Il suffit d’être attentif à ne rien faire qui la chasse. Il n’y a pas de règles, de recettes, chacun de nous, sait comment et par quoi, il est inspiré. C’est aussi difficile à décrire que la poésie et l’amour. Cet état d’émerveillement et d’acquiescement à la vie, cette capacité de jouer avec la vie, quand par chance, cela nous tombe dessus, on le sait. L’esprit, est la vraie trace de la vie en nous. Le spirituel est du vif argent, c’est quelque chose qui a de l’insolence, du charme, qui est toujours imprévu, qui ne se possède pas ; un printemps hors saison qui pousse dans nos cœurs et qui dure ce qu’il dure. Et, ce n’est pas grave. La spiritualité est une floraison étonnante, imprévue. Le passage en nous de quelque chose de spirituel, le sentiment d’être pleinement vivant, un tremblement de mots ou de regards, est un sentiment qui permet de traverser la nuit du monde. Le monde et la nuit c’est aujourd’hui à peu près la même chose. La variété du monde ne l’est qu’en apparence. C’est la même chose qui revient sous des masques différents. Elle est massive, ruineuse, pénible et mauvaise. Il ne se passe pas de jours sans que l’on voie des dizaines d’étoiles tomber par terre.  La spiritualité permet de traverser tout ça et de poursuivre. Mais, je voudrais éviter de la définir, car toute définition est un enterrement de première classe. Je préfère parler de confiance. C’est l’étrange sentiment que même dans les moments d’enfermement ou de désespoir, que je connais comme tout le monde, je sais que cela n’est que temporaire, que quelque chose d’autre à nouveau, arrivera. L’enfer sur terre est monotone et norme, un endroit assez convenu. Le paradis, aujourd’hui, est non convenu, où toute st sans arrêt nouveau ; d’une nouveauté de cœur ou de fleur de cerisier non commerciale. Où chaque instant est vécu comme étant le dernier.

 » Ce que l’on voit nous change. Ce que l’on voit nous révèle, nous baptise, nous donne notre vrai nom. »

Parler de l’homme-joie, c’est aller à contre de ce que dit, aujourd’hui, la société de l’homme.

Oui. La vie est un trésor que nous gâchons. Je crois que si, on commence à regarder ce qui est autour de nous, de plus fragile, de plus banal, nous allons voir quelque chose d’illuminant. Les mères le savent bien. Quand une mère se penche sur le berceau de son tout petit en train de dormir, elle est une géante qui veille sur la course des étoiles. Ces choses là, qui ne sont petites qu’en apparence, sont le meilleur de l’existence.

Dans ce livre, on a le sentiment, que chaque instant, chaque mot, chaque expérience est à la fois, mort et renaissance. Tout est possible à chaque instant ?

Je le ressens comme ça. Rien n’est jamais perdu. La suite des jours et des nuits, est comme une partie de jeux de carte. On peut toujours rejouer. La mort est peut-être la carte la plus belle. Le drame d’aujourd’hui est que le temps du cœur n’est pas respecté, compris. Il est beaucoup plus lent que le temps mesurable. Décrocher de cette réalité, ne pas être en lien avec elle, est sans doute l’une des raisons pour laquelle on ne rentre pas, au paradis, là où nous sommes

Quand on vous lit, on a le sentiment que tout est vivant autour de vous…

Enorme éclat de rire…: j’aime beaucoup ça ! C’est nous qui sommes en défaut par moment, qui avons une paupière un peu lourde, mais tout est vivant, en lien. Un soir où je passais devant un rosier, le rouge des fleurs trouait la nuit et m’appelait. Tout est vivant. Je m’en rends compte grâce à ces sortes d’accidents lumineux, imprévus, qui m’arrivent

La nature nous prolonge, et nous prolongeons la nature… on ne sait pas dans quel sens les choses se font et se défont…

Quelle est la fonction d’un livre ?

Un vrai livre écoute le lecteur. Mon expérience de lecteur sait,  qu’à un moment donné, rare, quelque chose sort d’un livre, s’assied à coté de vous et se met à vous écouter. Les mots qui sont écrits et agencés d’une façon telle que vous vous sentez écouté par eux et cela vous donne une certaine patience. Certains livres ont une fonction de résurrection. La chose vraie quand elle vous est dite, vous n’avez plus besoin d’un expert pour l’authentifier. Tout d’un coup, votre cœur et toute votre expérience la reconnait, résonne avec elle. Elle n’a pas besoin d’être prouvée. Certaines phrases nous aident à lutter contre nous-mêmes. Et, nous aident à être pleinement vivant, en paix, serein.

La couleur bleue est très présente dans ce livre : par des mots, par un carnet glissé au milieu de l’ouvrage….

Un livre ne se fait pas avec des idées, et encore moins avec une volonté. Le bleu de ce livre est venu du hasard d’un carnet, écrit et donné à une jeune femme, il y a une 30 aine d’année. Celle couleur me permettait de parler d’autre chose que du noir et que des choses obligées : subir, souffrir. C’est le contre-noir de l’époque.

Dans l’un de vos récits, vous parlez de la peinture de Soulages : une expérience unique, un bouleversement total, pour vous.

Mon âme prend comme un bain de nuit devant ses tableaux. Je n’ai pas vu un peintre mais l’un des plus grands penseurs de tous les temps. Il a des noirs Pascaliens. Il se sert du noir comme d’un ambassadeur pour faire venir la lumière. C’est inouï et génial. A partir de quelque chose qui devrait être morne, constant, sans nuance comme le sont souvent nos jours, en jouant sur le relief, les sillons, la pâte de cette peinture, il fait venir la lumière du ciel.  La matière de la peinture de Pierre Soulages à, a voir, avec  le silence qu’une page heureuse peut modeler. C’est un peu comme une main qui se pose sur le cœur et qui commence à le masser, l’apaiser, à le purifier. C’est une grande joie de voir ca. Ce sont des montagnes noires heureuses, des paradoxes. Heureuses car la pensée est suscitée, réveillée, à son maximum. Ces peintures atteignent le grand lac des images en moi, d’où vient la poésie.

« La nature est très présente, enchantée, sensuelle car vivante… Elle meurt cependant car l’homme ne s’y relie plus, la déserte, ne la sent pas en lui… « 

Le bonheur, qu’est-ce que c’est pour vous ?

Ce n’est pas le contraire du malheur. Une vieille gitane a dit un jour que la vie la plus riche est celle où on a beaucoup souffert. Si on entend précisément cette phrase, il n’y a rien de doloriste. C’est juste que la vie qui s’est affrontée le plus à la vie est sans aucun doute la plus heureuse. L’image physique du bonheur serait d’imaginer un rosier injurié par la grêle. Il est dans le réel brut et pur.

2 réflexions sur “Christian Bobin, l’homme de la lumière”

  1. Nathalie bretar

    Merci Catherine pour le partage de cet article.🙏
    A chaque fois que je vous lis, j entends votre voix et je vous revois dans #voix bouddhistes#. Vous m avez toujours apaisée. C est certainement toutes ces rencontres de grands maîtres spirituels et philosophes et écrivains ainsi que votre travail sur soi et cet altruisme que l on ressent chez vous et qui me donnent l envie depuis des années de vous lire.
    Merci pour vos partage. Je ressens chez vous une belle âme 🤗
    Nathalie

    1. merci chère Nathalie pour ce mot si bienveillant et si doux qui me touche énormément.
      Cela a été un privilège pour moi de partager avec les téléspectateurs ou avec les lecteurs, la sagesse des personnes rencontrées.
      On me demande de plus en plus souvent de remettre en ligne certaines émissions et articles sur mon site ou sur ma chaine youtube; je vais donc le faire désormais aussi souvent que possible. Je vous souhaite une vie douce et sereine. catherine

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